En 2020, bien avant la création d'Improvyglot et d'Atlas Bruxelles, Laurie s'intéressait déjà à l'impro comme outil de réflexion sur la communication, découvrez l'article ci-dessous, publié sur le blog d'Atlas impros du monde Bordeaux en 2020:
Un ami m’a récemment parlé de communication non-violente. Il m’a dit « tu t’exprimes comme quelqu’un qui s’intéresse à fond à la CNV ». Après lui avoir répondu « C-N-quoi ? », j’ai compris de quoi il parlait. « Communication non-violente » c’est un truc que j’ai déjà entendu. Je savais que ça existait quoi, mais pas spécialement comment ça marchait (enfin, c’est ce que je croyais).
En fait, on a commencé à en discuter, et je me suis rendu compte que oui, j’appliquais sans le savoir beaucoup de principes de CNV dans mes relations aux autres (et à moi-même). Evidemment, j’ai tout de suite fait le lien avec l’impro (surprise !).
Avant de démarrer, une petite définition tirée du site CNVformations (dédié aux formateurs et formatrices français en CNV) :
“La Communication Non-Violente est une démarche qui met en lumière ce qui facilite ou entrave la relation. Elle nous aide à renouer avec une qualité d’écoute de soi-même et de l’autre, et à retrouver la bienveillance et l’empathie que nous portons naturellement en nous, à partir de la vision fondamentale que tous les êtres humains ont les mêmes besoins."
Elle a été mise au point dans les années 1970 par Marshall B. Rosenberg, docteur en psychologie, élève et collaborateur de Carl Rogers. Plus qu’un processus ou un langage, la Communication Non Violente (CNV) nous donne des clés de compréhension sur notre fonctionnement en tant qu’être humain. Elle propose une autre façon de penser, de s’exprimer et d’exercer son pouvoir, qui se différencie nettement de celle dont la plupart des gens dans le monde ont été éduqués à communiquer et à interagir. Elle est une invitation à concentrer notre attention sur ce qui est en jeu chez nous et chez l’autre, et à réfléchir à notre intention : continuer à jouer à « qui a tort, qui a raison ? » ou bien (r)établir le lien.”
Alors pourquoi est-ce que l’improvisation m’a permis, sans vraiment le conscientiser, de pratiquer la CNV ?
Il y a d’abord les aspects les plus évidents. On a déjà parlé de l’écoute comme qualité fondamentale d’un improvisateur. Sans écoute, pas d’impro, et les ateliers d’improvisation débordent d’exercices qui permettent de développer cette écoute pour qu’elle devienne de plus en plus « naturelle » ou « instinctive ». L’objectif est que l’improvisateur puisse dédier son énergie mentale à autre chose, tout en étant hyper à l’écoute de ses partenaires (mais sans même y penser).
On peut également parler de la bienveillance, qui me paraît aussi être une valeur fondamentale en impro. « Dire oui », « être intéressé plutôt qu’intéressant », « make your partner look good ». Difficile d’être un bon improvisateur, selon moi, si on n’est pas quelqu’un qui s’intéresse aux autres et qui fait attention aux autres (faire attention ici dans le sens de « faire attention à comment l’autre se sent »).
Dire oui, en improvisation, comme on l’a déjà évoqué dans l’article sur l’impro toltèque, c’est dire oui aux intentions de son partenaire. Ça nécessite, de fait, d’essayer de comprendre ses intentions. Quand on joue avec quelqu’un on se demande : « qu’est-ce qu’il a envie de faire ? » et on essaie de l’aider à y arriver. Ça ne veut pas dire qu’il faut jeter à la poubelle ses propres envies, ça veut dire qu’il faut trouver comment les intégrer à celles de l’autre, les faire cohabiter, ou encore mieux, comment elles peuvent se servir mutuellement.
Récemment, je me suis lancée dans des formats d’impro plus longs (type format narratif, avec des improvisations qui durent jusqu’à une heure et quart et déroulent une histoire unique), et je me suis mise à devoir être encore plus à l’affût de tous les signes donnés par mes partenaires pour savoir dans quel état émotionnel leur personnage était, pour comprendre ce qui était en train de se jouer. C’est un vrai plaisir pour moi de devoir décoder l’humain et ses émotions, dans leurs nuances et leur complexité. C’est un plaisir aussi d’appliquer ces observations et de me les approprier lorsque je dois à mon tour reproduire les émotions humaines, les « jouer ».
Je ne suis pas quelqu’un de très à l’aise avec les émotions en général, les percevoir, les comprendre, les exprimer. L’improvisation est un peu mon laboratoire de compréhension de l’humain. Elle me permet d’observer (dans un cadre où l’observation est encouragée) et d’apprendre comment les autres fonctionnent. Mais encore mieux, elle me permet de me mettre dans les bottes de qui je veux. Faire de l’impro, c’est passer son temps à expérimenter différentes situations sociales et voir ce qu’il se passe. C’est beaucoup plus facile pour moi aujourd’hui de comprendre la colère d’un ami parce cela va me rappeler une scène vécue en improvisation, et j’ai parfois profité de l’impro pour voir comment désamorcer un conflit (ou si au contraire, je l’ai aggravé, je me sers aussi de cette expérience pour comprendre ce que je dois éviter).
Plus je fais de scènes d’impro, en atelier ou en spectacle, plus j’ajoute à ma vie une sorte de « vécu social ». La différence avec l’expérience réelle, c’est qu’en impro je ne vis pas les situations en tant que moi-même, mais en tant qu’une multiplicité de personnages.
Quand on fait de l’impro, on doit se demander : « comment réagirait cette vieille dame si sa petite fille ne voulait plus lui parler ? », « que ressent ce pilote de ligne qui a réussi à faire atterrir son avion dans la tempête ? », « que ressent cette adolescente qui vient de rompre avec son petit-ami ? ».
Ce n’est pas toujours facile, et évidemment, on tâtonne. Parfois on fait une scène, en atelier, on en sort et on se dit « c’était bizarre pour elle de réagir comme ça, non ? » et nos partenaires de scène et nos professeurs nous aident à comprendre ce qui n’allait pas.
Avec le théâtre à texte, je pense qu’il est possible d’aller plus loin dans la compréhension de son personnage. Mais ce qui me paraît incroyable dans l’impro, c’est la richesse des personnages abordés. Après quelques années d’impro, je peux dire que j’en ai fait des centaines. Je me suis mise dans les bottes de centaines d’individus fictifs. Alors quand je rencontre des gens dans la vraie vie, j’ai plein de clés de compréhension de leur comportement. Lorsque je me retrouve au milieu d’un conflit, j’en ai déjà vécu des dizaines qui peuvent lui ressembler. Et j’ai moins de mal à comprendre ce que veut l’autre où comment il se sent. Se mettre à la place des autres, c’est ce qui permet l’empathie, un des principes fondamentaux de la CNV.
Je sais aussi mieux comment exprimer ce que je veux et ce que je ressens. En improvisation, c’est aussi important de donner un maximum d’élément à son partenaire. Donc, dans une scène, si mon personnage est triste, je veux que mon partenaire de jeu (et parfois son personnage) le comprenne ; j’ai donc appris à le montrer, où à le dire. Ne pas laisser d’ambiguïté en improvisation est parfois important.
Une des techniques pour pratiquer la CNV, en tout cas ce que j’en ai compris, c’est de se mettre dans une démarche de trajectoire de ses émotions. Par exemple, si je ressens de la colère et qu’elle semble avoir été déclenchée par le comportement spécifique d’un de mes amis, je vais essayer de comprendre d’où vient cette colère, qui est en fait un message transmis à mon corps. Je vais « rebrousser » la trajectoire de mon émotion pour comprendre, par exemple, qu’elle est un message (de moi à moi), pour me dire qu’une de mes valeurs ou un de mes besoins n’a pas été respecté. Par exemple, si ce qui me met en colère c’est le désordre laissé par mon colocataire dans notre espace commun, c’est peut-être parce que j’ai besoin d’ordre et d’harmonie pour me sentir bien. Comprendre cela me permettra d’exprimer ce besoin de façon beaucoup plus accessible pour l’autre, plutôt que d’exprimer une colère brute.
En impro, on reproduit souvent un processus similaire. Il y a un mythe qui laisse penser que pour être improvisateur, il faut avoir de super bonnes idées. Mais pas du tout. Il ne faut pas avoir d’idées (au sens de processus mental de création d’idée neuve), car les idées viennent « toutes seules » à un improvisateur qui se laisse les recevoir. C’est la philosophie du « Act before you think » (« Joue avant de penser »). En d’autres termes, il s’agit de laisser d’abord son corps (et cela comprends les manifestations physiques des émotions) réagir avant même de savoir pourquoi. Pour donner un exemple plus précis, si mon partenaire de jeu me dit « j’ai revu Jean-Pierre » et que je laisse mon corps réagir (je vais peut-être rire, ou peut-être être choquée), et je découvrirais plus tard pourquoi. Dans un second temps, après avoir réagi, je vais faire cette trajectoire émotionnelle pour mon personnage. « Elle est choquée, elle trouve donc que ce n’est pas respectueux de la part de Louis d’avoir revu Jean-Pierre. Jean-Pierre a dû lui faire quelque chose qui l’a blessée. etc). Jusqu’à remonter aux besoins fondamentaux de mon personnage (cela fonctionne pour des scènes d’une durée moyenne ou longue, c’est plus difficile dans un format très court). L’improvisateur est donc en quelque sorte habitué à retracer la trajectoire de ses propres émotions, et le message qu’elles véhiculent.
Alors oui, je suis de ceux et celles qui pensent que l’impro est une école de la vie. Mais je crois surtout qu’elle peut vraiment faire du bien à ceux qui, comme moi, se sentent parfois en décalage avec les autres ou ont du mal à décoder certaines situations sociales. Ça n’empêche pas qu’il reste encore du chemin à parcourir pour devenir des pro de la CNV, mais ça met clairement sur la bonne voie !
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